Mili BALAKIREW composait très lentement. Il commença la composition de son poème symphonique „Tamar“ en 1867 déjà. Il revint à sa composition en 1876 et termina la partition - presque, à part quelques détails - au cours des trois années suivantes. Ainsi, après quinze années de travail sporadique, la partition devait être finalement prête en septembre 1882, et elle fut donnée en première audition au mois de mars de l’année suivante.
L'oeuvre figure parmi les plus remarquables réalisations inspirées par le culte de l’oriental et de l’exotique qui jouissait d’une grande faveur dans la musique russe du dix-neuvième siècle. Elle raconte l’histoire de Tamar, une belle, mais démoniaque princesse, qui attire un voyageur pour le tuer dans la tour de son château, situé dans les gorges profondes de Daryal.
Cette oeuvre apparait très tôt dans les concerts donnés sous la direction d'Ernest ANSERMET, le samedi 4 novembre 1916, un concert donné au Théâtre de la Ville de Genève. À ma connaissance, elle ne réapparaitra que quatre fois au programme des concerts de l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR) donnés au Victoria Hall: le 11 janvier 1919, le 8 décembre 1923 et le 22 janvier 1927, sous la direction d'Ernest Ansermet, et une dernière fois le 11 janvier 1930, l'OSR étant dirigé par un chef invité célèbre, Désiré-Émile INGHELBRECHT.
Voici comment Ernest ANSERMET présentait l'oeuvre dans ses programmes de concerts des années 1916 à 1927:
"[...] Celui en qui Glinka avait cru deviner son successeur, et qui fut l’aîné, et à certains égards le maître, des fameux „cinq“ compositeurs russes, n'a laissé qu’un petit nombre d’oeuvres, mais qui sont toutes extrêmement significatives et de la plus grande richesse musicale. Son art se distingue, en général, de celui de ses compagnons, par quelque chose de concentré et de réfléchi qui apparaît dans un certain souci de plénitude harmonique, de carrure rythmique, et par un équilibre formel extrêmement marqué.
Le poème symphonique Tamar, dédié à Liszt, n’est pas une illustration immédiate, mais s’inspire dans ses grandes lignes, d’un poème de Lermontov dont voici le résumé:
Dans l’étroit et brumeux défilé du Darial, où passe le fleuve Terek, s’élevait anciennement une tour qu’habitait Tamar, une reine,
d’un ange ayant l’aspect, d’un démon les pensées, cruelle, astucieuse, et divine à la fois.
Cédant à une attraction invincible, le passant, fût il guerrier, pâtre ou marchand, se rendait à son appel enchanteur et prenait part à la fête nocturne...
Des cris passionnés dans l’ombre s’amassaient Réveillant de l’écho les stridentes clameurs.
Mais à peine l’aube venait-elle dorer les cimes des montagnes, que tout retombait dans un morne silence, uniquement troublé par le mugissement des ondes bouillonnantes du Terek, qui emportait vers la mer un corps inanimé... Alors, apparaissant aux fenêtres de la tour, une ombre blanche
Envovait un adieu de loin au bien-aimé... [...]"
Le 11 janvier 1930 Désiré-Émile INGHELBRECHT dirigea cette oeuvre à Genève. Dans le programme de ce concert de l'OSR fut publié un résumé de caractère nettement plus dramatique, correspondant mieux au thème de Tamar, et qu'en 1916 on avait probablement pas osé écrire...
"[...] Dans la sombre vallée du Darial, où roule, torrentueux, le Terek, s’élève une tour habitée par Tamar, reine démoniaque, astucieuse, barbare, mais dont toute la cruauté maladive se cache sous un masque d'ange divinement trompeur. Tout voyageur qui passe sa route devant le château de Tamar, pâtre, marchand, chevalier, ne peut résister aux charmes de cette sirène terrestre. Et, pris de vertige, tous pénètrent dans sa demeure et prennent part à ses fètes enivrantes... Dans le silence de la nuit éclatent alors des cris atroces de joie et de douleur qui se répercutent, terribles, dans la vallée, et follement danse la ronde d’êtres ensanglantés et de cadavres remplissant de bruit et de joie sinistre cette tour sombre au profil silencieux. Et lorsque le sommet des montagnes rosit à l’aurore, tout redevient muet. Seul, le mugissement du Terek se fait entendre, et dans ses flots roule le cadavre du malheureux séduit. Là-haut, à l'une des fenêtres de la Tour, apparaît une forme blanche et délicieuse, qui chante un adieu plein de promesses, un de ces adieux qui font vibrer tendrement le coeur et le font espérer à des bonheurs infinis. [...]"
Une courte description du poème symphonique:
Tamar "[...] s’ouvre par une évocation des „gorges profondes de Daryal où gronde dans l’obscurité le fleuve Terek“. La tonalité est si mineur, avec des sinistres murmures du trombone basse et du tuba, accompagnés par les altos en sourdine, les bassons, les cors et un hautbois. Le motif de séduction de Tamar est d’abord joué par le cor anglais, le hautbois et les violons – un motif de cinq notes qui se transforme finalement en la chanson d’amour irrésistible de la sirène. Peu à peu, le mouvement s’accélère jusqu’au moment où l’on rencontre un Allegro moderato, ma agitato à 12/8.
Ensuite, le tempo s’accélère de nouveau, Poco più animato, avant l’apparition du premier des thèmes de Tamar. Geste typique de Balakirev, la tonalité est si mineur, le thème très chromatique confié au hautbois est accompagné par un fa dièse maintenu à la flûte, par les cordes en pizzicato et par un motif caractéristique à la caisse claire. Le second thème de Tamar est joué par la clarinette, Allegretto quasi andantino, et évoque la nature voluptueuse de la sirène.
Les deux thèmes de Tamar sont longuement développés. Une section fuguée annonce un Vivace (alla breve), au moment où le voyageur entre dans le château. Si la tonalité est ici ré majeur, le ton de si mineur n’est toutefois pas très loin. Le thème Vivace se met alors à alterner avec le premier puis avec le second thème de Tamar. Un ralentissement du tempo mène au finale qui commence Poco a poco più animato, et le moment où l’histoire parvient à son horrible dénouement. L’oeuvre s’achève doucement, tandis que les eaux du fleuve roulent au loin le cadavre du voyageur. [...]" cité d'un texte de Charles SEARSON, dans une traduction de Francis MARCHA, publié dans le livret joint au CD CHANDOS CH241-29.
Dans des sessions s'étendant du 13 au 26 mai 1954 dans le Victoria Hall de Genève (les premières sessions d'enregistrements en stéréo de Decca), l'Orchestre de la Suisse Romande placé sous la direction d'Ernest ANSERMET enregistra pour Decca 6 oeuvres de compositeurs russes:
-► [a] Nikolai Rimski-Korsakow, Suite symphonique „Antar“
-► [b] Mili Balakirew, „Tamara“
-► [c] Anatoli Ljadow, „Baba Yaga“, Op. 56
-► [d] Anatoli Ljadow, „Kikimora“, Op. 63
-► [e] Anatoli Ljadow, 8 chansons populaires russes pour orchestre, Op. 58
-► [f] Alexander Glasunow, „Stenka Razin“, Op. 13
Les premières publications de ces oeuvres:
-► [b-e] octobre 1954 sur Decca LXT 2966, janvier suivant sur Decca London LL 1068 (en mono); novembre 1959 sur Decca London CS 6167 et octobre 1968 sur Decca STS 15066 (en stéréo)
-► [af] novembre 1954 sur Decca LXT 2982, décembre suivant sur Decca STS 15066; pas de publication d'Antar en stéréo - exception faite d'une réédition en stéréo factice, produite électroniquement, sur le disque Everest 3302
-► [f] juin 1972 sur Decca Eclipse ECS 641, mars 1975 sur Decca STS 15240
-► [b] mai 1972 sur Decca ECS 642
-► [cd] juin 1974 sur Decca ECS 735
-► [e] octobre 1974 sur Decca ECS 742
«Tamar» semble être la seule oeuvre de Mili Balakirew qu'Ernest Ansermet ait dirigé en concert, du moins dans les concerts organisés par l'Orchestre de la Suisse Romande au Victoria Hall de Genève.
Tamar est aussi la seule oeuvre de Mili Balakirew qu'Ernest Ansermet ait enregistré pour le disque:
Mili Balakirew, Tamar (Thamar, Tamara), poème symphonique, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 14 au 26 mai 1954, Victoria-Hall, Genève
Andante maestoso – Poco a poco più animato – Allegro moderato,
ma agitato – Poco animato – Poco più animato – Meno mosso (doppio
movimento) – Poco meno mosso. Allegretto quasi andantino – Poco più
mosso – Più agitato – Poco più animato – Vivace (alla breve) – Poco
meno mosso, ma agitato – L’istesso tempo – Pochissimo meno mosso –
Poco a poco più animato – Animato – Poco più mosso – Ancora poco più
animato – Meno mosso (doppio movimento) – Andante (meno mosso.
Tempo del comincio)
20:53