Maurice RAVEL
L’Enfant et les Sortilèges, M 71, texte de COLETTE
Flore WEND (S), Marie-Lise de MONTMOLLIN (MS)
Geneviève TOURAINE (S), Adrienne MIGLIETTI (S)
Suzanne DANCO (S), Juliette BISE (A)
Gisèle BOBILLIER (S), Lucien LOVANO (B)
Pierre MOLLET (Baryton), Hugues CUÉNOD (T)
Choeur mixte „Le Motet de Genève“
(Chef du choeur: Jacques HORNEFFER)
Orchestre de la Suisse Romande
Ernest ANSERMET
14 oct. – 11 nov. 1954, Victoria Hall, Genève
Une excellente présentation de l'oeuvre citée des notes de ROLAND-MANUEL publiées en 1982 dans le livret de l'album La Voix De Son Maître 2C 069-43169:
"[...] L'Enfant et les Sortilèges... Ces deux mots paraissent assemblés pour le bonheur de Ravel. De fait, cette fantaisie lyrique marque, avec le Concerto pour la main gauche, le moment le plus heureux de sa dernière manière et l’un des sommets de son art.
Ravel a dégagé lui-même, en peu de mots, le sens de cette oeuvre essentielle et curieusement dépouillée: „le souci mélodique y domine, et se trouve servi par un sujet que je me suis plu à traiter dans l'esprit de l’opérette américaine. Le livret de Mme Colette autorisait cette liberté dans la féerie. C’est le chant qui l'emporte ici. L'orchestre, sans faire fi de la virtuosité instrumentale, reste néanmoins au second plan“.
C'est en 1916 que le directeur de l'Opéra reçut de Mme Colette un divertissement intitulé „Ballet pour ma fille“. Jacques Rouché eut aussitôt l’idée de l’adresser à Ravel, alors aux armées.
Le musicien de „Ma mère l'Oye“, ouvertement effrayé par la multiplicité des tours de force que réclamait le sujet, mais secrètement séduit par le ton familier d’une histoire merveilleuse, tergiversa quelque temps, demanda et obtint que sa collaboratrice accentuât le relief du fantastique dans le cadre de l'intimité et se mit sans hâte à l'ouvrage au cours de l’été de 1920: „Je travaille à l'opéra en collaboration avec Colette. Le titre définitif n’en est toujours pas fixé. Cette oeuvre en deux parties se distinguera par un mélange de styles qui sera sévèrement jugé, ce qui laissera Colette indifférente, - ce dont je me f...“.
N'empêche que l’oeuvre sera plusieurs fois délaissée en faveur d’autres travaux, puis reprise et terminée d'un trait dans le second semestre de 1924, pour paraître en 1925 à l'Opéra de Monte-Carlo.
L’argument de „L'Enfant et les Sortilèges“ est celui d'un conte bleu: „Las du tiède bonheur et de la douce vie tranquille“, un méchant enfant brise les meubles du salon et houspille les animaux dans une frénésie de perversité. Les dieux lares, offensés, se vengent. Les meubles s’animent et menacent. La première bien-aimée de l'enfant, la Princesse des Contes, ne lui apparaît que pour lui dire adieu. Au jardin „mouillé de lune, irisé de rossignols“, les arbres blessés, les écureuils martyrs, les rainettes, écorchées viennent à leur tour accuser leur bourreau; maisil a pansé un écureuil blessé et quand l'angoisse l’étreint au coeur de la nuit inhumaine, les bêtes le prennent en pitié et le rendent à sa maman.
Moralité puérile et honnête qui ramène au royaume de féerie un artiste qui ne s’est jamais guéri de son enfance, qui se meut à l'aise et s'émeut à plaisir dans un monde délivré du poids de l'humain, sur un théâtre où l’artifice ingénu renverse l'échelle des valeurs sentimentales en même temps que les lois de la perspective linéaire - où les théières ont la taille de l'homme, où les écureuils parlent de rédemption.
Pourtant, il n'est pas d'oeuvre où notre musicien s'avoue davantage. La scène de frénésie qui suit la réprimande de Maman, au début de l'ouvrage, prendrait pour un peu valeur de confession; comment ne pas reconnaître dans la sèche virulence du petit brise-tout qui arrache le coeur des horloges et se heurte à l'hostilité des choses familières, le Ravel de la „Valse“ et de la „Sonate en duo“, impatient de sortir de lui-même ou d’en avoir raison?
Mais la véhémente confession appelle et requiert une contrition parfaite et sensible. La complexité accidentelle de cette partition si riche en contrastes ne doit pas faire illusion sur le sens et l'esprit d'une oeuvre dont le message essentiel est celui d’une simplicité pleine d'amour qui se résoud en lyrisme mélodique. L'introduction, la pastorale, la scène de la Princesse, la seconde partie presque tout entière avec son admirable choeur final, attestent une volonté d’allègement, un besoin d’aérer la symphonie qui correspondent à la démarche la plus heureuse que Ravel ait jamais faite dans le sens du dépouillement.
À l'extrême, peut-être, de la tension et du calcul, la maîtrise d’un prodigieux artisan rend les armes à cette secrète tendresse et délivre un chant qui va s’exalter sans contrainte. Une harmonie limpide libère le discours de toute ambiguïté. L'orchestre emprunte à cette franchise une vivacité de couleur surprenante et comme un relief nouveau. En répudiant enfin la construction thématique, en brisant la continuité du récitatif, Ravel rejoint, par delà de ce qu'il appelle „l’opérette américaine“, la tradition formelle de l'Opéra.
Par une espèce de nouveauté, „L'Enfant et les Sortilèges“ réclame des chanteurs qui chantent, de même qu'il requiert des instrumentistes virtuoses, composant un orchestre de solistes. C'est le lieu de marquer que l'équilibre prodigieux qui donne à chaque détail de cette musique l’apparence du naturel et du nécessaire n'est obtenu qu’au prix d’une mise au point délicate. L'enregistrement sur disque n’en a pu restituer le relief et l'éclat que par de constants tours de force. Car les interprètes de Ravel se doivent d'obtenir ce qu'il exigeait de lui-même: une industrie si parfaitement appliquée à son office qu'elle efface la trace de l'effort. Prouesse invisible et constante dont la péroraison de „L'Enfant et les Sortilèges“ nous propose un exemple magnifique.
Cette ode à la bonté confère à l'ouvrage tout entier sa signification profonde. Elle le hausse; elle l’ennoblit de telle sorte que cette dernière page de la partition en est aussi la plus belle - la plus harmonieuse peut-être de son auteur. Musique de l'esprit et de la sensibilité, toute gonflée de tendresse. Emotion née au coeur des arbres, des oiseaux - de tout le menu peuple de la nuit et qui vient expirer dans une larme, sur le seuil de la maison des hommes. [...]"
Pour le texte de Colette, avec de courtes descriptions des scènes, voir plus bas sous les fichiers audio en écoute.
Ernest ANSERMET enregistra cette oeuvre pour Decca, lors de sessions s'étendant du 14 octobre au 15 novembre 1954, entièrement consacrées à des oeuvres de Maurice RAVEL:
C'est l'une des premières séries de prises de son de Decca faite en monophonie et en stéréophonie. L'enregistrement de „L’Enfant et les Sortilèges“ fut publié en février 1955 sur Decca LXT 5019 et en mai 1955 sur London Records LL 1180 (monophonie), puis en juin 1960 sur Deccca SXL 2212 et en mars 1968 sur London Records Richmond's Opera Treasury Series SR 33086 (stéréophonie), pour ne mentionner que les (ré)éditions les plus importantes..
Maurice RAVEL, „L’Enfant et les Sortilèges“, fantaisie lyrique en deux parties, M 71, texte de COLETTE
Flore WEND (S) L'Enfant Marie-Lise de MONTMOLLIN (MS) Maman, La Tasse Chinoise, La Libellule Geneviève TOURAINE (S) La Bergère, Le Canapé, La Chauve-Souris, La Chatte Blanche Adrienne MIGLIETTI (S) Le Feu, Le Rossignol Suzanne DANCO (S), La Princesse, L'Écureuil Juliette BISE (A) Un Pâtre, La Chouette
Gisèle BOBILLIER (S) Une Pastourelle, Lucien LOVANO (B) Le Fauteuil, Un Arbre Pierre MOLLET (Baryton) L'Horloge Comtoise, Le Chat Noir Hugues CUÉNOD (T) La Théière, Le Petit Vieillard, La Rainette