Ernest BLOCH
Quatuor à cordes No 1, B 12
STUYVESANT String Quartet
Sylvan SHULMAN et Zelly SMIRNOFF, violons
Louis KIEVMAN, alto, Alan SHULMAN, violoncelle
10 octobre 1939, New York City
C'est à Genève en mai 1916 qu'Ernest Bloch commença d'écrire son premier quatuor; il acheva les trois premiers mouvements avant de partir pour l'Amérique, fin juillet, et termina l'oeuvre à New York le 5 septembre 1916. Dédié au Quatuor Flonzaley, qui en assura la première audition le 29 décembre suivant à New York (Aeolian Hall), c'est l'un des plus longs quatuors de l'histoire de la musique - sa durée atteint 50 minutes environ. Le manuscrit conservé à l'Université de Berkeley en Californie porte la signature du compositeur et les mentions Genève / Juillet 1916 (III ) New York / 27 Août - 5 Sept. 1916 (IV). Il fut publié par G. Schirmer à New York en 1919.
Pour la notice du programme de la première du Quatuor, Ernest Bloch écrivit:
"[...] Cette oeuvre est l'expression directe de mes propres sentiments, de ma vision du monde; c'est une part de ma vie, de mes joies, de mes souffrances...
I - Lamento
nettement d'inspiration hébraïque - mélange d'âpreté, de violence passionnée, de douleur... j'ai songé à cette vieille race juive meurtrie et qui a tant souffert à travers les siècles - et qui persiste et espère quand même...
II - Allegro frenetico
d'un scepticisme, d'un cynisme amers... c'est la vue des laideurs humaines, la grimace des passions mauvaises, la lutte douloureuse sans espérance... Le “trio” est une échappée vers des terres lointaines plus colorées, vers des mondes exotiques plus primitifs, Tahiti... Les îles de la Papouasie...
III - Pastorale
rêveries dans les campagnes, les bois et les montagnes, au sein de la grande nature éternellement vraie et... consolatrice.
IV - Finale
écrit en Amérique et influencé peut-être par des impressions de la vie active âpre, effrénée. D'abord c'est l'action qui domine, entrecoupée çà et là par les thèmes des premières parties... puis un second thème encore très juif, comme une prière hébraïque, insistante et douloureuse... la lutte reprend ardente... et la conclusion, à la fois pessimiste et résignée ramène encore les thèmes du début,souvenirs lointains et comme voilés de l'Europe. [...]" une traduction publiée dans l'ouvrage Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon “Ernest Bloch - Sa vie et sa pensée” publié chez Slatkine, 2e volume, page 33
Dans la revue „Musical America" du 25 novembre 1916, chronique de Frederic H. Martens en page 9, intitulé „Ernest Bloch décrit son Quatuor qui sera créé par les Flonzaley“, le compositeur en donna une description plus détaillée:
"[...] Le Quatuor est composé des quatre mouvements habituels mais il est tout à fait libre dans sa forme et dans son développement.
Le premier mouvement, lamento, est essentiellement hébraïque, un mélange de violence et de douleur. J'ai demandé à mes amis de penser, lorsqu'ils le joueront, à la Bible, à l'ardeur des Psaumes, et au sang chaud bouillonnant de l'Orient. Je leur ai demandé de penser à ces pauvres diables qu'on rencontre parfois dans les rues ou le long des routes, avec leurs longues barbes, sales, tristes, désespérés... et cependant, se raccrochant à quelque espoir, à quelque lueur obscure tandis qu'ils murmurent leurs prières hébraïques.
J'ai essayé d'exprimer quelque chose de tout cela dans le lamento - et je crois qu'un thème (à l'alto) est presque entièrement écrit dans cette optique. Le mouvement entier est très libre et enchaîne une fluctuation continue de mouvements et de nuances. Certains de mes thèmes sont le résultat direct de mes souvenirs d'une peinture de Gauguin. Ils rappellent quelque chose de Tahiti, des îles lointaines de la Papouasie, surtout dans les passages ornés où les quatre cordes, quittant temporairement leur orbite naturelle, sonnent ensemble en polyrythmie pour créer une sonorité d'un effet véritablement exotique. Cette couleur exotique se fonde aussi sur des souvenirs d'exposition coloniale dont mon imagination a dû se contenter, à défaut du tour du monde que je n'ai pu réaliser, faute d'argent. (...)
L'allegro frenetico, qui suit le lamento, je l'ai dit à mes amis, les Flonzaley, leur fera peut-être grincer des dents au départ. Mais il est sincère - je désespérais de l'homme en général lorsque je l'ai écrit et il reflète en grande partie mes pensées les plus intimes, la grimace de dégoût que j'éprouvais devant l'humanité.
La pastorale, troisième mouvement, écrite dans le style de la traditionnelle “musique de chambre”, a été presque entièrement composée dans les bois ou dans les montagnes. Je faisais des promenades avec ma famille et mes enfants dans la belle campagne qui environne Genève et Neuchâtel et j'ai trouvé son inspiration dans la nature, loin des distractions de la ville. (...) Ce n'est pas une pastorale au sens propre du terme. C'est plutôt une rêverie éprouvée dans la solitude de la nature. Le thème douloureux du premier mouvement y reparaît dans une transition pleine de sérénité et de tendresse. Les autres thèmes sont des thèmes folkloriques, campagnards. Deux de mes thèmes, l'un de danse et l'autre de “berceuse sauvage” ont été empruntés à une de mes oeuvres inachevées, un drame situé à l'époque lacustre.
Le finale, un allegro confuoco, est de style rhapsodique et veut mettre l'accent sur le caractère subtil, qui, sans programme défini, lie les quatre mouvements du Quatuor. [...]" une traduction publiée dans l'ouvrage Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon “Ernest Bloch - Sa vie et sa pensée” publié chez Slatkine, 2e volume, pages 34-35
Étiquette de l'un des disques 78tours Columbia LX 934--939 (Masterworks Set No. 298) / LX 8511--8516 citée de cette page de la collection „The Shellackophile's Vintage Recordings“
Pour l'interprétation proposée en écoute sur cette page, Bryan Bishop (Shellackophile) - qui a superbement restauré les 12 78tours - donne les précisions suivantes:
"[...] Recorded October 10, 1939, in New York City. Issued in January, 1940, as Columbia Masterworks Set M-392 (records 69775-D through 69780-D) and slide-automatic sequence Set AM-392 (records 69781-D through 69786-D). Later in 1940, the drop-automatic sequence Set MM-392 (records 70320-D through 70325-D) followed. In Great Britain, the set was issued in March, 1942, as Columbia LX 934 through 939 (Masterworks Set No. 298) and in automatic couplings as LX 8511 through 8516. The set stayed in the British catalogue for only three years. It is the British set which I have, which, moreover, featured redubbings of the original matrices (all of which are second takes, whereas according to Frank Andrews and Michael Smith, the American issue used all first takes).
When this set was issued, Bloch had only written one string quartet; he was eventually to write five. At the time of this recording, the Stuyvesant Quartet consisted of Sylvan Shulman, and Zelly Smirnoff, violins; Louis Kievman, viola, and Alan Shulman (Sylvan's brother), cello (the two middle chairs had varying members during the quartet's life, but the Shulman brothers were a constant presence in the group). If one believes the data in a Pearl CD issue of Elisabeth Schumann's Bach recordings (which includes the Mass in B minor conducted by Albert Coates), then October 10, 1939, was a busy day for the Stuyvesant Quartet, for they were also in the Victor studios assisting in accompanying Mme. Schumann in Bach's "Wedding" Cantata, BWV 202, along with harpsichordist Yella Pessl, oboist Mitch Miller and bassist Philip Sklar. [...]"
Voici donc...
Ernest Bloch, Quatuor à cordes No 1, B 12, Stuyvesant String Quartet (Sylvan Shulman et Zelly Smirnoff, violons, Louis Kievman, alto, Alan Shulman, violoncelle), 10 octobre 1939, New York City
1. Andante moderato 11:29 (-> 11:29)
2. Allegro frenetico; Molto moderato 10:59 (-> 22:28)
3. Andante molto moderato (Pastorale) 10:25 (-> 32:53)
4. Finale: Vivace 14:56 (-> 47:49)
C'est grâce à la splendide collection du site archive.org - plus particulièrement de cette page de la collection „The Shellackophile's Vintage Recordings“- que nous pouvons écouter ce remarquable document, embarqué ici en iframe:
2. Allegro frenetico; Molto moderato
3. Andante molto moderato (Pastorale)
Provenance: Columbia LX 934--939 (Masterworks Set No. 298) / LX 8511--8516, cette page de la collection „The Shellackophile's Vintage Recordings“ du site archive.org.
L'enregistrement peut être TÉLÉCHARGÉ sur la page de la collection „The Shellackophile's Vintage Recordings“ référenciée ci-dessus, ainsi que sur cette page de son site.
