Maurice EMMANUEL composa l'opéra - ou «tragédie lyrique» - Prométhée enchaîné, op.16, de 1916 à 1918 (ses premières esquisses remontent toutefois à 1895), sur une version abrégée du Prométhée enchaîné d'Eschyle, qu’il avait lui-même traduit. Comme Samuel Baud-Bovy, il était en effet aussi un excellent helléniste: "[...] titulaire d’une thèse de doctorat sur la danse grecque antique en 1896 («un chef d'oeuvre de fine érudition hellénique et de goût» selon Romain Rolland), il avait mis au point une technique de composition fondée sur l’utilisation de la rythmique et des «modes» grecs, tels que la science musicologique les analysait au début du 20ème siècle [...]" cité d'un texte de Christophe Corbier.
Maurice EMMANUEL vers 1930
Sa première audition — limitée à son premier acte — fut donnée le 23 mars 1919, salle Gaveau, par l'association des concerts Colonne, sous la direction de Camille Chevillard. Le succès rencontré auprès du public et de la critique fut à l'origine d'une commande de Jacques Rouché, alors directeur de l'Opéra de Paris, pour une musique de scène pour Les Perses d'Eschyle, qui conduira à sa deuxième tragédie lyrique, Salamine. Malgré cet accueil favorable, la première audition intégrale de Prométhée enchaîné n'eut lieu que le 21 mai 1959 dans une version accompagnée au piano, puis le 23 novembre 1959 au Théâtre des Champs-Élysées, par l'Orchestre et les Choeurs de la RTF sous la direction d'Eugène Bigot. D'après cette page du site mauriceemmanuel.fr la partition n'a pas encore été éditée, le manuscript se trouve dans les archives familiales.
"[...] la figure du «héros souffrant», ainsi qu'il le nomme, revêt de nombreuses significations dans le contexte de la première Guerre mondiale, en raison de la liberté d'interprétation qu'offre le mythe: révolte contre toutes les tyrannies, souffrance des poilus et de l'humanité en proie aux épreuves de la guerre, douleur filiale d'Emmanuel qui se rappelle ses parents.
La forme du drame achevé demeure classique, comme le suggère le titre de «tragédie lyrique», dans la lignée de la tradition française illustrée par Lulli, Rameau, Gluck et Berlioz. Comme ce dernier, Emmanuel préfère être son propre librettiste, adaptant la tragédie d'Eschyle en accord avec ses propres conceptions esthétiques [...]" cité de Wikipedia
L'action de Prométhée enchaîné, résumée par Christophe Corbier (Maurice Emmanuel, Paris, Bleu nuit éditeur, 2007, 176 p., ISBN 2-913575-79-X): "[...] privilégie aussi la synthèse dans cette oeuvre en trois actes précédés d'un Prologue narratif: Bia, Kratos et Héphaïstos, valets de Zeus (caractérisé par un premier thème rythmique et brutal énoncé aux cuivres), clouent sur un rocher Prométhée, dont la longue plainte s'élève des cordes et des bois. Dans le premier acte, Prométhée invoque les éléments puis assiste à l'arrivée des Océanides, qui forment le choeur et écoutent le récit de ses maux. Trois d'entre elles, lointaines cousines des filles du Rhin, plaignent le malheureux Titan. Au second acte, après une lamentation du choeur aux inflexions archaïsantes, Io, naguère séduite par Zeus puis transformée par Héra en génisse et harcelée par un taon, fait brusquement irruption: Prométhée lui prédit son destin, avant qu'elle ne poursuive son errance folle. Dans le troisième acte, très bref, Hermès entre en scène et veut contraindre Prométhée à lui révéler le secret qui menace la puissance de Zeus ; refus du Titan, qui est enseveli dans un cataclysme final provoqué par Zeus. Le tout dure un peu plus d'une heure [...]"
Dans le prologue orchestral qui "[...] annonce le drame en une page magistrale [...]", Marguerite Béclard d'Harcourt relève l'emploi des modes de ré et de mi pour les deux thèmes principaux: celui de la vengeance de Zeus contre le Titan qui connaît le secret susceptible de remettre en cause le pouvoir royal du souverain des dieux, et celui de la souffrance de Prométhée enchaîné aux rochers du Caucase et condamné au supplice atroce du vautour qui dévore son foie (Marguerite Béclard d'Harcourt, L'oeuvre musicale de Maurice Emmanuel, La Revue musicale, no 152, 1935, pages 27-28).
En première partie du concert donné à Radio-Genève le 21 mars 1962, Samuel BAUD-BOVY présenta ce prologue en première audition suisse; le concert se poursuivait avec le concerto en ut mineur de Beethoven, Paul Baumgartner en soliste, et - en deuxième partie - la symphonie No 1 de Charles Chaix. Le tout fut diffusé en direct sur l'émetteur de Sottens, dans le cadre du traditionnel mercredi symphonique.
Voici donc...
Maurice Emmanuel, Prologue du «Prométhée enchaîné», Op. 16, Orchestre de la Suisse Romande, Samuel Baud-Bovy, 21 mars 1962, Radio-Genève
Allegro, moderato ma deciso ed energico molto 06:05