«Fantasiestücke», „Pièces de fantaisie“, est un titre que Robert Schumann utilisa pour quatre de ses oeuvres:
-► Fantasiestücke opus 12, pour piano, 1837
-► Fantasiestücke opus 73, pour piano et clarinette (ad.lib alto ou violoncelle), 1849
-► Fantasiestücke opus 88, pour piano, violon et violoncelle, 1842
-► Trois Fantasiestücke opus 111, pour piano, 1851
Dans les «Fantasiestücke, Op. 12, Schumann s'inspire des «Fantasiestücke in Callots Manier» - „pièces de fantaisie à la manière de Callot“ - d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann publiées en 1814-1815, tant pour le titre que pour le sens du fantastique sombre propre au célèbre écrivain romantique, compositeur et également graveur du XVIIe siècle.
L'oeuvre de Schumann appartient à la grande décennie qui marqua le début de sa vie créative, entre 1830 et 1840, période durant laquelle, presque sans aucune formation en composition, il créa néanmoins une longue série de pièces pour piano remarquablement originales et d'une grande qualité artistique, dont la fraîcheur et le charme n'ont jamais été surpassés. Les compositions de cette période semblent avoir jailli de lui sous l'impulsion soudaine de son génie. Composant au piano (une pratique qu'il condamnera plus tard), son travail était irrégulier et sporadique. Ainsi, ses réalisations de cette époque consistent dans leur grande partie en de petites formes de danse ou de chant, souvent assemblées comme dans une mosaïque pour former un ensemble plus vaste. Le fil conducteur est souvent émotionnel plutôt que technique, car il avait l'habitude de puiser son inspiration musicale dans son expérience personnelle.
Après avoir traduit une expérience émotionnelle en termes musicaux, Schumann avait pour habitude de donner un titre à la pièce, un titre qui, de manière claire et souvent profondément poétique, guidait l'imagination de l'interprète ou de l'auditeur dans une direction particulière et précise. Il prenait soin de se prémunir contre l'hypothèse selon laquelle son processus consistait à imaginer un objet précis – tel qu'un „fermier heureux“ (dans l'opus 15) ou une „auberge au bord de la route“ (opus 82) – puis à essayer de le décrire en notes. Sa méthode consistait plutôt à écrire d'abord le morceau, de manière tout à fait indépendante, puis à lui donner un titre qui évoquerait l'humeur ou le sentiment particulier qu'il souhaitait que la musique transmette. Ainsi, l'accent était toujours mis sur la musique – une musique romantique, sans aucun doute, mais totalement éloignée de ce qu'on appelle aujourd'hui la „musique à programme“. Cette même méthode fut utilisée plus tard par Debussy, qui semblait croire que l'explicité des mots était le moyen le plus sûr de cristalliser les multiples possibilités suggérées par la musique seule.
Les «Fantasiestücke, Op. 12, sont composées de huit courtes pièces. Les humeurs qui les inspirèrent sont universellement communes et ne nécessitent aucune interprétation particulière pour être appréciées. Tout au long de l'oeuvre, Schumann s'est efforcé de créer un tissu vivant à partir des changements et des passages de tons et des suspensions. Cela l'a conduit à introduire ces dissonances descendantes qui allaient plus tard caractériser toute l'école romantique et lui fournir un moyen d'expression des plus éloquents.
(1) «Des Abends» (Le soir) «Sehr innig zu spielen» (Jouer très intimement) évoque la propre nature rêveuse du compositeur, qui souhaitait exprimer „la couleur douce du crépuscule“. Nous ressentons la délicieuse paix apportée par cette heure exquise - les ombres rampantes à la tombée du jour nous sont montrées dans des gradations successives de tonalité et de couleur.
(2) «Aufschwung» (Essor) est peut-être la pièce la plus connue de l'ensemble. Impatiente et passionnée, elle s'envole d'un seul coup, bondissant vigoureusement dans les airs à la cinquième mesure avec un double saut d'octave.
(3) «Warum» (Pourquoi?) a été interprété comme étant une „lamentation muette sur l'insuffisance de toute connaissance“, ce qui est peut-être le cas. Cependant, elle retient également l'attention car elle illustre le libre entremêlement des lignes mélodiques qui s'est révélé si productif en effets harmoniques novateurs et a constitué un ajout important aux ressources de l'expression musicale. Cette polyphonie libre est directement dérivée de l'étude de Bach par Schumann, le seul musicien dont l'influence est perceptible dans son oeuvre.
(4) «Grillen» (Chimères) doit être joué „avec humour“, mais un fond de tristesse semble contredire l'indication scherzo. S'agit-il de ces chimères, agréables en eux-mêmes, qui nous affligent parce qu'ils sont toujours impossibles à réaliser? Ou devons-nous y voir une conscience inconsciente du compositeur quant à sa fin tragique?
(5) «In der Nacht» (La nuit) nous emmène dans l'air doux et frais. Cependant, Schumann lui-même érit à ce sujet, dans une lettre datée du 21 avril 1838: „ ... après avoir terminé, j'ai trouvé à ma grande joie l'histoire du mythe grec d'Héro et Léandre. Quand je joue «In der Nacht», je ne peux oublier cette image: d'abord, il plonge dans la mer, elle l'appelle, il lui répond, il atteint la terre ferme à travers les vagues, puis vient la cantilène où ils s'embrassent, quand il doit repartir. Il ne peut se résoudre à partir, puis la nuit enveloppe à nouveau tout dans l'obscurité ... “ Il s'agit certes d'un programme, mais ajouté après coup, une affinité, pas une inspiration.
(6) «Fabel» (Fable) Il n'est pas nécessaire d'identifier la „fable“. C'est celle que nous avons entendue le plus récemment – ou peut-être la première que nous ayons jamais entendue.
(7) «Traumes Wirren» (Rêves confus) s'ouvre sur des doubles croches tourbillonnantes; les formes changent rapidement sous nos yeux, ne nous laissant pas le temps de les identifier, de les nommer. Un changement de tonalité, de fa à ré bémol majeur, offre un bref répit dans un moment presque lyrique, mais le mouvement rapide reprend et nous emporte dans un final soudainement silencieux et évanescent.
(8) «Ende vom Lied» (Fin de l'histoire) semble résigné à son sort, satisfait d'avoir mené à bien une oeuvre remarquable et très personnelle. Une interprétation plus large est possible à partir des mots ajoutés par le compositeur : „Amici, comedia finita est“.
Traduit des notes de E.C. STONE publiées au verso de la pochette de ce disque Decca LONDON LPS 210:
Les huits «Fantasiestücke», „Pièces de fantaisie“, Op. 12, de Robert SCHUMANN sont ici interprétées par Jacqueline BLANCARD. Elle les enregistra pour le label Decca les 6 et 13 avril 1950, dans leur studio londonien de «West Hampstead»: