George GERSHWIN
Rhapsody in blue
Radu LUPU
Orchestre symphonique de la radio de Francfort
DEAN DIXON
2 mars 1973, salle d'émission de la Radio de Hesse
(«Funkhaus am Dornbusch»), Francfort
Tout au long de sa vie trop courte, George Gershwin eut beauccoup à faire à Broadway, Hollywood et Tin Pan Alley. Il trouva néanmoins le temps et l'inspiration pour créer quelques oeuvres de concert, qui survécurent dans le registre le plus populaire. L'une de ces oeuvres destinées à l'immortalité est sans aucun doute la „Rhapsody in Blue“.
Gershwin ne fut pas le premier compositeur à adapter le jazz à la musique de concert, mais il fut l'un des premiers pionniers dans ce domaine. La postérité retiendra peut-être aussi qu'il y fut le plus brillant. Sa première tentative dans cette nouvelle forme hybride fut la „Rhapsody in Blue“.
L'idée que Gershwin compose quelque chose de plus ambitieux que des partitions de comédies musicales vint de Paul Whiteman. Le chef d'orchestre prévoyait un concert de jazz “éducatif“ à l'Aeolian Hall de New York et désirait que Gershwin écrive quelque chose pour l'occasion.
Gershwin ne prenait Whiteman pas très au sérieux. Ce fut donc un “choc“ pour lui de lire dans le New York Tribune du 4 janvier 1924 que Whiteman avait programmé son concert pour le 12 février - jour anniversaire d'Abraham Lincoln - et que „George Gershwin travaillait sur un concerto de jazz“. Le récit du compositeur lui-même sur ce qui se passa ensuite:
„Soudain, une idée m'est venue. On avait tellement parlé des limites du jazz, sans parler de l'incompréhension manifeste de sa fonction. Le jazz, disait-on, devait respecter un tempo strict. Il devait s'en tenir aux rythmes de danse. Je me suis résolu, si possible, à balayer cette idée fausse d'un seul coup. Inspiré par cet objectif, je me suis mis à composer.
Je n'avais pas de plan précis, pas de structure à laquelle ma musique pouvait se conformer. La Rhapsodie, voyez-vous, est née d'un objectif, pas d'un plan. J'ai élaboré quelques thèmes, mais à ce moment-là, je devais me rendre à Boston pour la première de Sweet Little Devil. C'est dans le train, avec ses rythmes métalliques, son cliquetis et ses bruits sourds qui stimulent si souvent un compositeur (on entend souvent de la musique au coeur même du bruit), que j'ai soudain entendu – et même vu sur le papier – la construction complète de la Rhapsodie, du début à la fin. Aucun nouveau thème ne m'est venu, mais j'ai travaillé sur le matériau thématique que j'avais déjà en tête et j'ai essayé de concevoir la composition dans son ensemble. Je l'entendais comme une sorte de kaléidoscope musical de l'Amérique, de notre vaste melting-pot, de notre incomparable dynamisme national, de notre blues, de notre folie métropolitaine. Lorsque je suis arrivé à Boston, j'avais l'intrigue définitive de la pièce, par opposition à sa substance réelle.
Le thème central m'est venu soudainement, comme c'est souvent le cas avec ma musique. C'était chez un ami, juste après mon retour à Gotham. Je compose beaucoup de manière inconsciente, et c'est un exemple de cela. Jouer lors de soirées est l'une de mes faiblesses notoires. Alors que je jouais sans penser à la Rhapsody, je me suis soudainement entendu jouer un thème qui devait me hanter et chercher à s'exprimer. À peine avait-il jailli de mes doigts que je compris que je l'avais trouvé. Une semaine après mon retour de Boston, j'avais achevé la structure, dans les grandes lignes, de la Rhapsody in Blue.“
Au cours des semaines qui précédèrent le concert, Gershwin travailla à la révision de sa Rhapsody. Elle était écrite pour deux pianos, avec quelques suggestions d'instrumentation notées dans la partition. En raison de la pression du temps et du manque d'expérience de Gershwin en matière d'orchestration, l'arrangeur de Whiteman, Ferde Grofé, adapta la partition pour le grand orchestre de danse de Whiteman, puis pour un orchestre symphonique. La version finale de la partie solo n'était même pas prête au moment du concert, et il y avait des pages entières de partition pour piano que Gershwin improvisa sur le vif. Whiteman devait avoir fort à faire pour diriger une partition qui comportait, dans un long espace vide, la mention „Attendez le signe“.
La Rhapsody était l'avant-dernière oeuvre au programme. Jusqu'alors, le public, qui comptait de nombreuses personnalités du monde de la musique classique, était loin d'être enthousiaste. La Rhapsody changea tout, elle électrisa les auditeurs - et s'imposa ensuite immédiatement dans le monde du concert. Dans sa biographie de Gershwin, Isaac Goldberg qualifia ce concert de l'anniversaire de Lincoln de „naissance de la musique américaine, voire de proclamation d'émancipation, dans laquelle l'esclavage au formalisme européen fut aboli par le glissando ascendant de la rhapsodie“.
Le célèbre solo de clarinette en glissando ouvrant l'oeuvre n'est pas de Gershwin, et n'était pas inclus dans la partition d'origine. Il s'agit d'un ajout du clarinettiste Ross Gorman au cours d'une répétition, ce dernier travaillant alors pour Paul Whiteman.