Johannes BRAHMS
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 77
Zino FRANCESCATTI, violon
Orchestre de la Suisse Romande
Antal DORATI
1er septembre 1962, Soirée inaugurale du 22e Septembre Musical de Montreux
"[...] 20 h. 30: Concert d’ouverture du 17e Septembre musical de Montreux-Vevey
C'est, selon l'usage, à l'Orchestre de la Suisse romande qu'incombera la responsabilité de la séance inaugurale du 17e Septembre musical de Montreux-Vevey. Ernest Ansermet conduit en général cette séance d'ouverture; mais, étant contraint, en cette période, de satisfaire aux engagements qui le retiennent à l'étranger, l'éminent chef romand a délégué ses pouvoirs à son distingué collègue hongrois, Antal Doráti, qui a tenu à honorer tout d'abord le répertoire classique, en nous faisant entendre le Troisième Concerto brandebourgeois en sol majeur, de Jean-Sébastien Bach.
Ami et disciple de Béla Bartòk, il était naturel qu'Antal Doráti songe à rendre hommage au maître qui exerça sur sa formation une influence décisive, en conduisant l'un de ses ouvrages, devenu classique au répertoire des concerts, en l'occurrence le Concerto pour Orchestre
Soliste parmi les plus appréciés du Septembre musical montreusien, Zino Francescatti nous proposera, en cette même soirée, le commentaire d'un des ouvrages qui nous offrent le plus parfait exemple du dialogue du violon et de l'orchestre: le Concerto en ré majeur, opus 77, de Johannes Brahms. [...]" cité de la ccourte présentation publiée en page 42 de la revue Radio TV Je vois tout du 23 août 1962, signé „H. J.“.
Le commentaire enthousiasmé d'Hermann LANG publié en page 7 de la „Nouvelle Revue de Lausanne“ du surlendemain:
"[...] Avec Antal Doráti, Zino Francescatti et l’OSR, le XVIIe SEPTEMBRE MUSICAL DE MONTREUX débute dans une ivresse de joie et d’enthousiasme.
Tout est loué, il fallut mettre des sièges supplémentaires pour caser le flot des auditeurs.
Antal Doráti, ce chef brûlant d'une ardeur passionnée, fait de ce premier concert un portique étincelant aux festivités annoncées. Né en 1906 à Budapest, élève de Bartòk et Kodaly, actuellement chef de l'orchestre de Minneapolis, il dirige tout de mémoire, se donnant tout entier, possédé par les rythmes ancestraux, communiquant à l'OSR une flamme, une ferveur, une pureté d'émission rares.
Le programme est d'une puissante unité, fait l'impression d'un bloc incandescent. Trois B, trinité magique, Bach, Brahms, Bartòk condensent en eux les pouvoirs de la musique aux 18e, 19e et 20e siècles, pouvoirs considères dans l'affirmation de la santé morale, du rayonnement de la joie.
Cette joie éclate dans le Troisième Concerto brandebourgeois en sol majeur de J.-S. Bach, joie spontanée, formidable, roulant en volutes incessantes, bien différente de la joie durement acquise par Beethoven, à peine troublée épisodiquement par de saisissantes gravités, évocatrices des mystères douloureux de la Passion, aux registres des violoncelles.
Ce Troisième Concerto brandebourgeois écrit pour les cordes seules, est joué par neuf musiciens solistes seulement, c'est- à-dire par trois trios: trois violons, trois altos, trois violoncelles. Violons et altos jouant debout se font face, les violoncelles étant assis à l'arrière-plan.
Les célèbres concertos brandebourgeois ne font pas partie du répertoire habituel de l'OSR, à Lausanne ils sont l'apanage de l'OCL. Doráti communique à son petit effectif d'exécutants une vitalité intense. Mais ce n'est pas là une musique qui se laisse maîtriser en une courte répétition. Il y eut un peu d'angoisse dans l'air, les assises branlaient par moment, notamment chez les deux alti inférieurs. Il fallut reprendre du souffle après le premier allegro et ce fut grand dommage, l'admirable transition entre les deux allégros, jouée au clavecin, perdant ainsi tout son effet. Car ce formidable déferlement de joie ne doit subir aucune interruption.
Puissante affirmation de vie également, de saine et grandiose rusticité, dans le Concerto de violon de Brahms, où la matière symphonique est d'une telle richesse qu'on a surnommé ce chef-d'oeuvre „Symphonie avec violon principal“. Chef-d'oeuvre unique, dominant à mon sens celui fameux de Beethoven et ceux célèbres à des titres divers de Mozart, Mendelssohn et Tchaikowsky. Classique et romantique à la fois, le Concerto de violon en ré majeur de Brahms les embrasse tous dans sa prodigieuse variété, plongeant dans la nuit des siècles et incrustant ses puissantes racines dans le véritable art populaire, il unit la grandeur olympienne, la dévorante palpitation rythmique, les plus fins dessins en filigrane et monte de l'effusion jusqu'aux cimes de la méditation lyrique.
Le très beau soliste Zino Francescatti, magnifiquement épaulé par le chef et l'OSR, en donna une interprétation frémissante, du plus noble élan. Il y révèle une musicalité en tous points émouvante, mais il n'atteint pas dans sa sonorité au galbe velouté, à la plasticité colorée et pleine de suc d'un Isaac Stern ou d'un David Oistrakh.
L'OSR eut des timbres envoûtants. Le hautbois solo se distingua dans l'admirable cantilène de l'Adagio. Jamais je n'entendis du Final une interprétation d’une poésie aussi puissamment râblée et magyare. D'aucuns parmi les auditeurs se sont scandalisés de l'accent outré mis sur l'accord en si mineur de la dernière croche de la troisième mesure. Brahms l'indique avec un si. Je ne l'ai jamais entendu avec une telle véhémence, une telle truculence.
La musique moderne ne compte guère d'ouvrages atteignant au panthéisme sauvage du Concerto pour orchestre de Béla Bartòk, ouvrage écrit aux portes de la mort, aux Etats-Unis, en 1943. Je n'en admire pas toutes les pages, certaines tonitruances des cors à la première partie selon la manière d'Hindemith m'indisposent nettement. Mais que de splendeurs naturistes, que de vertus paysannes, que de mélopées prenantes, et quels torrents de lave, quel fourmillement, quel grouillement de mystère dans cette musique où des gens, des bêtes, de l’immense nature jusqu'à la voûte étoilée monte un fervent hommage à la patrie absente! [...]"
1. Allegro non troppo 21:30 (-> 21:30)
2. Adagio 08:38 (-> 30:08)
3. Allegro giocoso ma non troppo vivace 07:38 (-> 37:46)