Igor STRAWINSKY
Concerto pour piano et instruments à vent, contrebasse et timbales
Karl ENGEL, piano
Orchestre de la Suisse Romande
Christan VÖCHTING
4 décembre 1963, Victoria Hall, Genève
À l'époque de sa composition, le concerto pour piano et instruments à vent, contrebasse et timbales d'Igor STRAWINSKY était par définition néoclassique. Il fait appel au piano, toutefois pas vraiment pour le mettre en valeur. L'oeuvre fit rapidement partie intégrante du répertoire international, ce qui est remarquable compte tenu de son instrumentation inhabituelle. Pour Strawinsky il marqua la fin d'une époque, car il découvit l'Amérique immédiatement après.
Strawinsky commença de composer cette oeuvre à Paris en août 1923, soit dix ans après que Le „Sacre du Printemps“ l'ait propulsé vers la gloire, et la termina en avril de l'année suivante. D'après ses propres témoignages, nous savons que Strawinsky s'était pris de fascination pour les problèmes liés à la composition pour instruments à vent alors qu'il travaillait sur ses „Symphonies d'instruments à vent“, écrites à la mémoire de Debussy. Cet intérêt se manifesta davantage encore dans „Mavra“, puis à nouveau dans l'„Octuor“. Vint ensuite le Concerto pour piano et instruments à vent, plus précisément le „Concerto pour piano suivi d'orchestre d'harmonie“.
La partition est dédiée à Natalie Koussevitzky, alors épouse du célèbre chef d'orchestre. Elle fut présentée au public lors de l'un des derniers Concerts Koussevitzky à Paris, le soir du 22 mai 1924. Le compositeur lui-même y apparut en tant que soliste. Lorsque Koussevitzky lui proposa de participer à la première américaine, Strawinsky hésita dans un premier temps. Mais une invitation venant de lui ne pouvait être refusée, et Strawinsky fit finalement ses débuts aux États-Unis le 23 janvier 1925, en tant qu'artiste invité avec le Boston Symphony Orchestra dans une interprétation du même concerto. Compte tenu du fait que Strawinsky avait été réticent à accepter l'engagement initial à Paris, il est plus qu'intéressant de noter qu'il développa rapidement un enthousiasme pour les tournées égal à celui de n'importe quel virtuose.
Et son véhicule pendant ces années fut invariablement le Concerto pour piano et instruments à vent, ce qui allait assurer sa célébrité en tant qu'interprète: „Je suis par nature toujours tenté par tout ce qui nécessite un effort prolongé, et enclin à persévérer pour surmonter les difficultés. De plus, la perspective de créer mon oeuvre pour moi-même, et ainsi d'établir la manière dont je souhaitais qu'elle soit jouée, m'attirait beaucoup. Ces influences combinées m'ont incité à me lancer dans cette aventure. J'ai donc commencé à assouplir mes doigts en jouant beaucoup d'exercices de Czerny... Au début de ma carrière de pianiste soliste, j'ai naturellement souffert du trac... Je me souviens qu'à mes débuts, j'ai été pris d'un trou de mémoire... Après avoir terminé la première partie de mon concerto, juste avant de commencer le Largo qui s'ouvre sur un solo de piano, je me suis soudain rendu compte que j'avais complètement oublié comment il commençait. Je l'ai chuchoté à Koussevitzky. Il a jeté un coup d'oeil à la partition et m'a chuchoté les premières notes. Cela a suffi pour me redonner mon équilibre...“
Il n'y a certes aucun déséquilibre dans la musique elle-même. Il n'y a pas non plus de profondeur, ni d'ailleurs d'émotivité à fleur de peau. C'est une pièce simple, impersonnelle, magnifiquement travaillée, où tout est ordonné. Strawinsky a un jour décrit cette oeuvre comme „une sorte de passacaille ou de toccata... tout à fait dans le style du XVIIe siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle vu du point de vue d'aujourd'hui“. Traduit d'après les notes que James LYON publia vers 1957 au verso de la pochette du disque Decca (US) DL 9963.
Cité de la présentation de ce concert rédigée par William RIME et publiée dans la revue Radio TV Je vois tout du 28 novembre 1963 en page 51:
"[...] Nous attirerons plus spécialement l'attention de nos auditeurs sur les oeuvres pianistiques que Karl Engel a inscrites à son programme. En effet, le soliste de la soirée interprétera, en première audition, un concerto de Mendelssohn dont la récente découverte ne manque pas de surprendre. Il est vrai qu'aujourd'hui, de nombreux ouvrages, restés jusqu'ici inédits, sortent des cartons de bibliothécaires devenus plus commerçants que conservateurs. Que penseraient certains compositeurs s'ils voyaient surgir ainsi des ouvrages qu'ils avaient peut-être jugés impropres à l'exécution ou traités comme des esquisses? Que sera ce «Concerto en la mineur» de Mendelssohn? Faisons confiance à Karl Engel, artiste de grande classe, mais avant tout parfait musicien.
Le même soliste interprétera, avec les titulaires des premiers pupitres d'harmonie de l'Orchestre de la Suisse romande, le «Concerto pour Piano» de Strawinsky. Cette oeuvre, qui date de 1924, est dédiée à Mme Natalie Koussewitzky. Une fois de plus, Strawinsky nous surprend. On sait avec quelle virtuosité, quelle imagination il conduit l'écriture de ses partitions; il y apporte aussi des audaces pour le moins inattendues. Dans ce «Concerto pour Piano» où, à part les instruments à vent, seule une contrebasse et les timbales sont utilisées pour assurer la «section rythmique», Strawinsky observe un respect des règles contrapuntiques qui a fait dire que cet ouvrage s'apparente, à certains moments tout au moins, aux concertos de Jean-Sébastien Bach. On jugera en effet, en l'exposé de certains thèmes, qu'un indéniable rapprochement peut être fait. L'oeuvre débute tel un aria où la voix des cuivres impose son ampleur et sa majesté; mais dès l'entrée du piano, le tempo, les couleurs, les rythmes nous entraînent vers d'autres horizons réellement enchanteurs. Le deuxième mouvement est le plus caractéristique de cette parenté aux oeuvres du grand cantor. Le dernier mouvement s'ouvre par une véritable fugue pour se terminer par un rappel de l'aria initial. Nous ne doutons pas que chacun prendra le plus vif plaisir à l'écoute de cette oeuvre qui nous apporte une foule de combinaisons nouvelles, tour à tour plaisantes, chatoyantes, voire un brin canailles.
Pour sa part, Christian Vöchting terminera son concert par la «Valse» de Ravel qui définit lui-même son oeuvre comme étant «une sorte d'apothéose de la valse viennoise à laquelle s'unissait, dans sa fantaisie, l'impression d'un tourbillon fantastique et fatal» [...]".
Cité du compte-rendu de Franz WALTER publié dans le Journal de Genève du 5 décembre 1963 en page 13:
"[...] Le cinquième concert de l'abonnement - Christian Vöchting et Karl Engel
Avec Mozart, Mendelssohn, Strawinsky et Ravel, Christian Vöchting nous proposait un programme apte à mettre particulièrement à l'épreuve son éclectisme et ses dons d'adaptation; programme fort exigeant, donc, et même épreuve périlleuse, puisqu'il s'agissait de terminer par cette «Valse» devant un public particulièrement gâté sur ce chapitre.
L'aisance et l'autorité avec lesquelles le jeune chef bâlois est sorti victorieux de l'épreuve a été un témoignage très éloquent de sa profonde maîtrise technique comme de pensée, et de sa très vive intuition. On doit admirer sans réserve le climat si juste qu'il sut conférer à chacune des pièces.
Son geste n'est pourtant pas, en soi, particulièrement suggestif — je pense notamment à la notion que l'on peut se faire de l'élégance ravélienne — du moins ne cherche-t-il jamais la suggestion pour elle-même, mais s'impose constamment par des voies strictement et purement musicales. Par ailleurs, ce geste est d'une remarquable souplesse qui lui permet un grand modelé de tempo comme de nuances.
Disons tout de suite que le plaisir qui nous fut dispensé au cours de ce concert tient aussi en grande part à la participation du pianiste Karl Engel qui se montra le digne partenaire de son concitoyen et même condisciple. (N'ont-ils pas fait en même temps leurs études au Conservatoire de Bâle!).
Karl Engel était, en première partie, le soliste d'un concerto de Mendelssohn récemment exhumé et que l'auteur écrivit à l'âge de 13 ans.
On sait qu'à 16 ans, il avait écrit son délicieux Octuor et à 17 ans ce chef-d'oeuvre qu'est l'Ouverture du «Songe d'une nuit d'été». Ce nouveau témoignage de cette extraordinaire précocité ne laisse pas que d'être troublant. Il y a là, en effet, bien plus que le simple exercice d'un enfant prodige. Au travers d'évidentes maladresses de conception et des longueurs, on. y découvre des traits très frappants où déjà s'affirme la personnalité bien nette de Mendelssohn. Ce n'est pas seulement le jeune musicien influencé par ses aînés, mais déjà l'artiste qui pressent ce que sera un certain langage de son époque. Certes, dans ce goût typique pour une certaine vélocité digitale, il y a beaucoup de remplissage et l'intérêt de l'oeuvre va faiblissant, son finale se montrant assez vite à bout dé souffle.
Très brillante interprétation, aisée, élégante et pourtant toujours étoffée, par Karl Engel.
Le chef et le soliste devaient d'ailleurs témoigner d'un égal bonheur dans le concerto de Strawinsky, avec accompagnement d'orchestre d'harmonie, dont ils dégagèrent par contraste, l'intense joie physique de mouvement suggérée par le premier allegro, ainsi que l'impressionnante rigueur hiératique du Larghissimo. Ces deux éléments restent d'ailleurs les plus valables de cette oeuvre auquel le temps a conféré un certain classicisme à l'exception du finale dont l'espèce de «modem style» date quelque peu — et qui hier reprit plus d'une fois un réel accent de fraîcheur. [...]"
Amusant de relire le commentaire d'Hermann LANG dans la Nouvelle Revue de Lausanne du 4 décembre 1963 en page 7, qui est resté bien connu pour n'avoir jamais mâché ses mots... et qui n'apprécia vraiment pas du tout l'oeuvre de Strawinsky, en comparaison avec celle de Mendelssohn...
"[...] Et quand après ces trois mouvements de musique qui ne sont qu'un hommage ingénu à la beauté, au bonheur de vivre, on vous plonge dans le réalisme cru, raide, anguleux et congelé d'un Stravinsky dans son Concerto pour piano et orchestre d'harmonie, on se demande avec effroi ce que ce sadique tourmenteur a fait de la musique.
Elle est à l'image, à la gloire de notre époque, hélas!
La mécanique y est reine, le moteur y est roi. On est en pleine usine, les bielles tournent, halètent, en un mouvement perpétuel.
Avec des coins de grosse rigolade, de fête villageoise et leurs soubresauts de syncopes.
Avec aussi, dans le Larghissimo, des moments de cafard lugubre, à vous jeter sous le train.
Merci, j'aime mieux la vie au grand air.
Karl Engel, cet ange du paradis qui joua avec tant de poésie le concerto du jeune Mendelssohn, huila ses fines articulations pour faire tourner la machine à Stravinsky. Pas un raté [...]"
1. Largo – allegro - più mosso - maestoso 08:33 (-> 08:33)
2. Largo - più mosso - tempo primo 08:06 (-> 16:39)
3. Allegro – agitato – lento - stringendo 05:27 (-> 22:06)
Provenance: Radiodiffusion
Le concert fut à l'époque retransmis en direct sur Sottens. L'enregistrement fait à cette occasion fut - entre autres - rediffusé dans le volet 1963 de l'excellente série d'émissions de Jean-Pierre AMANN „Les annales radiophoniques de l'OSR“.
Je ne peux toutefois vous le proposer qu'en écoute, les oeuvres d'Igor STRAWINSKY étant protégées par le droit d'auteur jusqu'en 2042 (mais rien ne vous empêche de m'envoyer un couriel afin d'en obtenir une copie À TITRE STRICTEMENT PRIVÉ).
C'est grâce à la générosité de la...
... que nous pouvons l'écouter par l'intermédiaire d'un iframe embarqué:
1. Largo – allegro - più mosso - maestoso 08:33 (-> 39:54)
2. Largo - più mosso - tempo primo 08:06 (-> 48:01)
3. Allegro – agitato – lento - stringendo 05:27 (-> 53:28)
Dans le milieu de la photo ci-dessous, CLIQUER SUR LA FLÈCHE pour démarrer l'écoute au début de l'oeuvre, soit 31 minutes 21 secondes après le début de l'émission. L'écoute peut ensuite être réglée par l'intermédiaire de la barre temps apparaissant au bas de la photo: