C'est entre l'automne 1829 et l'été 1830, à quelques mois d’intervalles, que Frédéric Chopin composa ses deux concertos pour piano et orchestre. Ils ne font certes pas preuve d’une grande originalité au niveau de la forme, par leur caractère subtil et intime, ainsi que leur style virtuose, ils se distinguent toutefois nettement des classiques concertos mozartien ou beethovénien.
Bien que désigné comme Concerto No 1, l’opus 11 fut composé au cours de l’été 1830, soit plusieurs mois après le 2e Concerto en fa mineur (op. 21). Ce dernier fut toutefois publié plus tardivement, ce qui explique leur numérotation.
«Il est bien trop original: je finirai par ne plus pouvoir l’apprendre moi-même» aurait déclaré Chopin au sujet de son Concerto en mi mineur. Le succès immédiat et durable de l’oeuvre lui a bien sûr donné tort, même si plusieurs générations d’interprètes ont cru bon de retoucher et d’alléger l’orchestration du compositeur, jugée «froide et presque superflue»» par Berlioz. Cette pratique a toutefois été abandonnée vers le milieu du XXe siècle.
Avant d'orchestrer complètement les deux oeuvres, Chopin les peaufina longuement dans des versions réduites, qu’il va abondamment tester et retravailler. Le 7 février 1830, un petit ensemble l’accompagne pour une première lecture du Concerto en fa mineur, dans le salon de la maison familiale, puis de nouveau le 3 mars. Mi-septembre, même préparation pour le Concerto en mi mineur: un simple quintette à cordes accompagne le compositeur dans un cadre intime, devant quelques amis et connaissances.
Les intitulés des premières éditions rappellent d'ailleurs qu'à cette époque les éditeurs n'hésitaient pas à modifier les effectifs selon les moyens à disposition: "[...] Grand Concerto pour le Pianoforte avec Accompagnement d'Orchestre ou de Quintuor ad libitum, précise le frontispice de l’édition originale allemande (1833) du Concerto en mi mineur. Même accompagnement à la carte dans la première édition du fa mineur, trois ans plus tard chez Breitkopf & Härtel, qui propose elle aussi une alternative à l’orchestre sous forme de «Quintuor» [...]"
Frédéric Chopin donna d'abord la première audition de son concerto en mi mineur en privé le 22 septembre 1830, puis en public, à l’Hôtel de Ville de Varsovie, le 11 octobre 1830. Ce fut son dernier concert en Pologne: peu après il quitta Varsovie pour Vienne, et ne reviendra jamais dans son pays natal.
Une courte description:
"[...] Archétypes du romantisme musical, les Concertos pour piano et orchestre de Chopin sont à la fois destinés au concert public, et en quelque sorte privés, proches de la confession intime, ce qui justifie pleinement de les jouer ensemble en formation de chambre. Ils se ressemblent d’ailleurs comme deux jumeaux: tous deux sont en trois mouvements – un Maestoso suivi d’un Larghetto et d’un Vivace. [...]
Le Concerto en mi mineur s’ouvre sur une introduction de l’ensemble très développée, au thème noble et martial. Lui répond un motif au lyrisme appuyé, miracle de grâce mélodique. Comme pour compenser son entrée tardive, le piano s’élance dans un puissant geste dramatique, suivi d’une inépuisable succession de traits virtuoses qui entrelacent les motifs principaux. Au cours du développement, le matériau thématique subit d’incessantes métamorphoses, le dialogue entre soliste et ensemble se fait plus serré lors de la reprise et c’est à ce dernier que revient de conclure le premier mouvement.
«Mille souvenirs bien-aimés sont évoqués devant mes yeux», déclarait Chopin à propos de la Romance centrale. C’est à nouveau Konstancja Gadkowska qui l’inspire ici. Comme dans le Larghetto du Concerto en fa mineur, le piano baigne dans une rêverie éveillée aux allures de nocturne, où la mélodie principale se voit constamment embellie et parée de nouvelles couleurs. Un épisode plus agité assombrit brièvement l’atmosphère, puis le mouvement retourne au mode élégiaque. En guise de coda, une transition pleine de mystère du piano introduit une ultime métamorphose de la mélodie rêveuse.
Basé sur un joyeux refrain au rythme de krakowiak («Cracovienne»), robuste danse polonaise à deux temps, le Rondo déborde de vie et d’esprit. Si Chopin recourt de nouveau à de pittoresques effets instrumentaux (pizzicati des cordes) pour évoquer le piquant d’une danse populaire, les tourbillonnantes pages finales, en revanche, brillent par leur panache virtuose sans limite.[...]"
Cité d'un texte de Luca Sabbatini, août 2018, pages 13 et 14 du programme du Festival Chopin donné à Genève du 3 au 11 octobre 2018.
L'interprétation de cette oeuvre qui vous est proposée sur cette page provient d'un concert donné lors du 20e Septembre Musical de Montreux, le 3 septembre 1965, avec l'Orchestre National de l'ORTF sous la direction de Georg SOLTI:
Nikita MAGALOFF remplaçait au pied levé György CZIFFRA, brusquement tombé malade:
"[...] Dans l'interprétation du «Concerto en mi mineur No 1 op. 11» de Chopin, on attendait, en soliste, l’illustre pianiste hongrois György Cziffra. À l'entrée du concert — le 7e du festival — une missive adressée au public du pavillon et signée Manuel Roth, faisait part de ses difficultés, Cziffra étant tombé malade 48 heures plus tôt... Il fallait lui trouver un remplaçant de sa taille et possédant «dans les doigts» ledit concerto. Le directeur du Septembre musical eut l'heur — et le mérite! — d'atteindre à plus de mille kilomètres un autre illustre pianiste, Nikita Magaloff, professeur de virtuosité au Conservatoire de Genève. Retour en avion de Saint-Sébastien, répétitions immédiates avec l’Orchestre national de Paris dirigé par Georg Solti: l’intégrité du programme était assurée. [...]"
Cité du compte-rendu de «G.C.» publié dans la Nouvelle Revue de Lausanne du 4 septembre 1965, en page 10
La première radiodiffusion du concert eut lieu en différé sur le second programme suisse alémanique, émetteur de Beromünster, le 17 septembre suivant.
Voici donc...
Frédéric Chopin, Concerto no 1 pour piano et orchestre en mi mineur, Op. 11, Nikita Magaloff, piano, Orchestre National de l'ORTF, Georg SOLTI, 3 septembre 1965, Montreux
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